vendredi 21 septembre 2012

Commémoration de la rafle du Vel d’Hiv

J’ai été, en ce dimanche 22 juillet 2012, comme mes camarades rescapés de l’horreur, l’hôte du président de la République française pour cette seconde cérémonie (la première a été dédiée à la libération de Drancy) au cours de laquelle j’ai pu rencontrer, pour trop peu de temps, des personnes et des personnalités hors du commun. Serge Klarsfeld (placé comme nous dans les premiers rangs derrière le président et les ministres de son gouvernement) a fait une allocution particulièrement brillante, en comparant par son ampleur et son importance historique, le massacre de la Saint-Barthélemy à la rafle du Vel’ d’Hiv. Le premier étant étudié dans toutes les institutions et écoles de France, le second ignoré par plus de 65 % des Français. Quant à lui, le président a fait un discours qui aurait pu être celui d’un sioniste convaincu ou d’un premier ministre israélien de la défense. Le "chant du marais", entonné par Talila, nous a émus aux larmes. Moi qui fait fi des discours et des cérémonies, celle-ci m’a marqué par l’intense émotion qu’elle a gravé en moi. Au terme de la cérémonie, François Hollande a honoré les membres de la délégation des rescapés israéliens en venant s’intéresser brièvement de notre vécu. Lui et moi avons conversé pendant quelques secondes et il m’a demandé quel âge j’avais à Drancy, puis il m’a signé un autographe sur mon invitation.

Bref, un grand moment d’émotion et une larme imprégnée d’affection à celle qui fut mon premier amour avant de partir en fumée dans les cheminées d’Auschwitz.

Discours de Francois Hollande pour le 70e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv.

Sur la rafle du Vel’ d’Hiv. Chanson de Gilbert Bécaud chantée par Annie Cordy

lundi 9 juillet 2012

Un soir près de la fenêtre

Ils sonnent tant, ils sonnent tant ce vague soir,
Les noms limpides chuchotés sous une porte,
Ceux que je n’ose entendre au bout de ma foi morte
Et qui se tiennent là comme le désespoir.

Ils bougent trop, ils bougent trop, les cent visages
Dont le profil s’égare aux lacis du chemin,
Et dont je vois à peine en agitant la main
S’esquisser les contours dans le sommeil des âges.

Ils défilent sans but, déguenillés, si vieux,
Les emplois sur lesquels j’ai tissé maints dimanches
Pour ne gagner au fond que la lèpre à mes manches,
Le dégoût en mon cœur et le vide en mes yeux.

Ils se glissent vers moi, coulant de la fenêtre
Avec la cruauté d’une eau sourde qui luit,
Les jeux, les menus jeux inventés par celui
Où quelquefois soudain je crois me reconnaître.

- Poème de Thierry Cabot, extrait de La Blessure des mots

jeudi 7 juin 2012

À visage découvert

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Discutant entre eux, levant bien haut leurs verres
Remplis de vin, de liqueur ou de bière
Avec le souci constant d’assurer leurs arrières

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Me saluant à peine en raison de leur rang
Même si certains d’entre eux me doivent leur carrière
Hiérarchie oblige au monde des pédants

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Lents comme tortue, agités comme lièvre
M’ignorant superbement en vidant leurs verres
Traces coulissantes aux commissures des lèvres

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Dévorant goulument des petits canapés
Comme si depuis des jours ils n’avaient rien mangé
Eux qui se nourrissent pourtant aux buffets ouverts

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Gommés des titres ronflants du vide de leur vie
Rongés par l’ambition à jamais inassouvie
Comme une bande de loups entrant dans un pré vert

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Souffrant de les envier avec au cœur la honte
De tous ceux qui se savent condamnés
Par la justice inexorable des archontes

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Eux à qui pour rien au monde je ne veux ressembler
Mais la mort dans l’âme de quand même les envier
Comme je suis médiocre ! Comme ils sont vulgaires !

Je les ai vus ce soir à visage découvert
Eux que je déteste autant que je me hais
Mais en voilà assez pour l’heure je me tais
Car il est temps pour moi de quitter cet enfer

– Poème de Daniel Ducharme

dimanche 6 mai 2012

La société du spectacle (Guy Debord)

Guy Debord (1931-1994) est un essayiste et réalisateur français. La société du spectacle est son œuvre majeure.

Très bref extrait du chapitre 9 :

« Le spectacle est l’idéologie par excellence, parce qu’il expose et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique : l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle. Le spectacle est matériellement « l’expression de la séparation et de l’éloignement entre l’homme et l’homme ». La « nouvelle puissance de la tromperie » qui s’y est concentrée à sa base dans cette production, par laquelle « avec la masse des objets croît... le nouveau domaine des êtres étrangers à qui l’homme est asservi ». C’est le stade suprême d’une expansion qui a retourné le besoin contre la vie. « Le besoin de l’argent est donc le vrai besoin produit par l’économie politique, et le seul besoin qu’elle produit » (manuscrits économico-philosophiques). Le spectacle étend à toute la vie sociale le principe que Hegel, dans la Realphilosophie d’Iéna, conçoit comme celui de l’argent ; c’est «  la vie de ce qui est mort, se mouvant en soi-même ». »

D’autres extraits lus et mis en images par l’auteur :



L’intégrale de La société du spectacle est ici : http://library.nothingness.org/articles/SI/fr/pub_contents/7

– Billet de Jean-Louis MILLET

dimanche 1 avril 2012

Maurice Roth (art figuratif)

Maurice Roth, peintre connu en Israël, expose des oeuvres qui dépeignent l’atrocité, la souffrance et les horreurs de la guerre.

« Petit enfant, la route de Moshé Roth est celle d’un être poursuivi, errant, vagabondant de cache en cache, de peurs en terreurs et de fausses identités en noms d’emprunt. Le chemin du peintre Moshé maîtrisant le monde qui naît de son pinceau est, lui, infiniment spécifique. Sans savoir même quelles sont les origines du peintre, on est immédiatement envahi par les impressions qu’il sait nous communiquer : sentiment d’intériorité, de fragilité, de tourment et de souffrances. » (Irit Salmon, préface, p. VI, « Maurice Roth : La lumière captive : Exposition d’oeuvres peintes (lavis, encres, fusains) », Yad Vashem, Jérusalem, hiver 1991)

« Ce que l’on pourrait prendre pour un choix délibéré d’artiste n’en est pas. L’innommable est partie constituante de l’oeuvre du peintre, quelle que soit la façon dont il nous le livre : par le titre absent, par la forme seulement évoquée, par la couleur qui, lorsqu’il consent à l’utiliser, s’échappe constamment des nuances repérables pour retourner au noir originel. »(Michèle Gans, préface, p. VIII, « Maurice Roth : La lumière captive : Exposition d’oeuvres peintes (lavis, encres, fusains) », Yad Vashem, Jérusalem, hiver 1991)

« Ces corps que la douleur disloque et désarticule jusqu’à la difformité sont voués à s’amalgamer à l’ombre. Peu à peu, les noirs et les encres gagnent, envahissent, dévorent les visages et les membres qu’ils vont engloutir, les résorbant « dans l’avare silence et la massive nuit », les restituant au chaos primordial. » (Gilles d’Humières, préface en date du 18 novembre 1990, p. IV, « Maurice Roth : La lumière captive : Exposition d’oeuvres peintes (lavis, encres, fusains) », Yad Vashem, Jérusalem, hiver 1991)

Ce sont « de grands tableaux sombres entachés soudain d’étonnantes clartés. Peu de contrastes cependant. Ce n’est pas dans la nature du peintre. La force, la vigueur, la rage de témoigner, de voir, de vivre s’expriment ici sans âcreté. » (C.H., « Maurice Roth : Une brutale sincérité », Cahiers de France et du Mexique, Le Journal français, Mexico, 1970, p. 23)

« Le thème de la Shoah est au centre de l’art de Moshé Roth. Cependant, il n’est traité ni de manière réaliste ni à la façon expressionniste, évitant même d’utiliser les moindres éléments figuratifs, formels ou tout autre mode auquel on s’attendrait pour exprimer traditionnellement la souffrance de l’humanité. Le corps humain se métamorphose chez lui en des masses quasi abstraites dans lesquelles seul un spectateur sensible ou averti peut soupçonner la présence d’une évocation délicate : celle d’un vieil homme, d’un enfant, d’une mère. Qui plus est, ces ombres d’hommes, entassées, pressées ou prises isolément semblent occuper le sombre infini d’un espace non décrit. Elles en sont à la fois les poursuivants et les poursuivis. Dans cette mouvance tragique, seule la blancheur du papier qui jaillit parfois entre le noir des encres laisse entendre que l’espoir n’est pas complètement banni des oeuvres de l’artiste. » (Dalia Tawil, préface, « La Shoah : impressions d’artiste », Exposition des oeuvres de Moshé Roth au Musée de la Yeshiva University à New York, Yeshiva University Museum, 1976)

Nous vous présentons quelques-unes de ses plus récentes créations.




















Images : Maurice Roth

vendredi 23 mars 2012

Ivre, il faut vivre ivre !

Je rame dans l’affreux tintamarre des ivrognes

Sur les eaux basses du pur ennui
Celui qui inventa l’ombre avant la lumière
Je sème les yeux à tous les vents
Au trou de la serrure de la porte qui n’existe pas
Minuit à perte de vue
Oeillade de la lune sur la soie d’un paysage blanc

Entre le cœur et l’éclair
Pénétrer l’avenir par le toit…
Sur des protons épileptiques
Ma chanson roule vers l’exil
La matière informe d’une petite insomnie
Cancer mythique du temps passé

Le jour blafard fait les cent pas sur le mur.
Un long doigt de brouillard
Gouaché de parfum
Viens prendre possession de mon suicide
Connaître l’offense de la mort agitée de vers ?
Si les morts pouvaient contempler leurs têtes
après quarante jours de silence…

Ivre, il faut vivre ivre !

- Poème de Jean-Louis MILLET, extrait de Les Dits d’un Silence. Sculpture poétique sur des poèmes de Joyce Mansour.