mardi 26 mai 2009

Sur le chemin des glaces : journal de marche (Werner Herzog)

Dans ce livre d’une écriture belle et poétique, le cinéaste allemand Werner Herzog relate une expérience assez singulière qu’il vécut au début de sa trentaine. Du 23 novembre au 14 décembre 1974, il entreprit une longue promenade, en solitaire, le menant de Munich à Paris. L’une de ses amies, Lotte Eisner, critique de cinéma, se trouvait à Paris, malade au point d’en mourir. Alors un peu pour conjurer le sort, pour déjouer la mort, il décida d’aller la retrouver à pied, ayant la certitude que, ce faisant, elle survivrait.

Son petit carnet de notes, qu’il donne à lire, est un récit formidable, rempli d’observations et de réflexions. Il parle de ce que la marche offre, à voir et à penser. Il parle de ce que signifie l’épreuve et de la manière de la surmonter. Car il faut le dire, son périple ne fut pas facile. Il dut affronter le froid, le vent, la violente tempête, les nuages bas, la pluie, l’eau qui dégouline, le grésil et la neige brûlante en plein visage, le corps qui souffre (douleurs aux pieds et aux jambes), l’épuisement et, parfois, l’envie de rebrousser chemin, de faire demi-tour, d’interrompre ce projet, en apparence, si insensé.

Il marcha à travers des champs et des forêts, parfois le long d’une nationale. Il emprunta des sentiers de montagne et il dormit dans des granges à foin ou des maisons inhabitées. Il trouva parfois refuge dans les abris d’autobus et fit de brèves haltes de repos à proximité des monuments aux morts et dans quelques auberges. Trouver un gîte pour la nuit devint souvent périlleux.

Le paysage l’invita à la réflexion. Les impressions nées de cette longue et périlleuse marche sont savoureuses. Tant de choses passent dans la tête du marcheur. L’odeur des champs est si puissante. En marchant, on rencontre des masses de choses jetées. Marcher fait souffrir aussi. La soif est parfois si forte que le marcheur n’en vient qu’à penser en terme de soif. En marchant, toutes sortes de bruits se font entendre. L’air s’emplit de sifflements, l’oreille est à l’écoute.

Le marcheur fait l’expérience du silence et de la formidable solitude. Herzog le ressentit vivement en s’enfonçant dans une forêt : « Quelle qualité de silence autour de moi ! » À d’autres instants, la solitude de la forêt, dans sa profondeur ténébreuse, rappelait le silence de mort, le vent seul s’agitant. La solitude est-elle bénéfique ? « Oui, assurément, répond l’auteur, elle nous ouvre à des intuitions dramatiques de l’avenir. »

Dans les instants de parfaite harmonie, d’euphorie avec lui-même, comme en suspens, où l’air est d’une pureté et d’une fraîcheur parfaites, d’agréables sensations envahissent le marcheur.

Tout au long du chemin, les buses l’accompagnèrent. Des souris, il en vit en grand nombre. Elles bruissaient dans l’herbe couchée. Seul celui qui marche voit les souris et se lie d’amitié avec elles. Et il y a tant de chiens. En voiture, ça se dérobe à notre perception, comme les odeurs de foin et les arbres gémissants. Un corbeau se posa sur le toit d’une maison, la tête dans les épaules, ne bougeant pas, sous la pluie. Longtemps, il était encore là, grelottant, solitaire et calme. Un sentiment de fraternité monta en Herzog et la solitude l’envahit. Il vécut ainsi de longs moments où il ne dit pas mot à qui que ce soit, où il ne vit personne. À force de solitude, la voix déraillait, ne pouvant que pépier.

Il vit des villages abandonnés du monde et des gens fatigués, des villes horribles et des lieux entièrement déserts, sans hommes ni refuges.

Dans ce journal de marche, le passage du réel à l’imaginaire se succède, la randonnée fournissant la nourriture nécessaire à l’imagination. Lorsque l’auteur rencontrait des moments de déprime, il dialoguait longuement avec lui-même et les personnages imaginaires de son cinéma.

La marche ! Chacun de nous devrait marcher. Herzog, lui, il se sentit voler à skis.

***

Herzog, Werner. Sur le chemin des glaces : Munich-Paris du 23-11 au 14-12-1974 ; traduit de l’allemand par Anne Dutter. Paris : Payot : Rivages, c1996, 113 p. (ISBN : 2-228-88991-1)

- Compte rendu de Chartrand Saint-Louis

jeudi 14 mai 2009

Érotisme vs Pornographie

Érotisme ou pornographie : Sacré ou profane ? Intérieur ou extérieur ?

Y a-t-il là dichotomie irréductible ou bien sommes-nous dans un continuum différemment perçu selon les époques ?

Voici ce qu’en pensait Henry Miller cité par Philippe Djian sur son Ardoise (Paris: Julliard, 2002). Un écrivain doit-il aborder la pornographie ?

" ... les prudents se réfugient dans l’érotisme - voyez leur sourire satisfait, leur jardin à la française, humez leur parfum suranné -, les autres, ceux qui croient encore à quelque chose, devront se battre à mains nues : pas de production hollywoodienne ni panoplie de métaphores chatoyantes. Pas de faux-fuyants ni de poudre aux yeux : juste le vocabulaire de base, sec et dur à s’en briser les mâchoires. Pas de clin d’œil, de complicité, de connivence avec le lecteur, ce qui est le fond de commerce de l’érotisme, non, pas de cette vulgarité là. Pas de cette pudeur autrement nauséabonde qui ravale la sexualité au rang de l’entertainment.

Regarder la sexualité en face, et se donner ainsi les moyens d’y comprendre quelque chose (quelles forces animent quoi - ou qui si l’on veut faire plus court), passe obligatoirement par la pornographie, à moins que l’on ne choisisse de piétiner sur place. Malheureusement, il n’y a pas de pornographie dans les sex-shops, il n’y a que de la merde, et il faut chercher la pornographie là où elle se trouve : chez les rares cinéastes et les quelques écrivains qui l’ont considérée comme un matériau noble, consubstantiel à la nature humaine et donc fichtrement digne d’intérêt.

... et si la seule réalité, le meilleur moyen de "penser notre époque" était contenu dans une scène de baise ? Si le miroir le plus juste de notre société s’y trouvait concentré ? Si l’on pouvait y décrypter la somme de nos terreurs, de nos angoisses, de nos joies et de nos peines, je veux dire de notre condition, ici et maintenant ? Et d’une manière plus triviale, si notre façon de baiser, les rapports que nous entretenons avec le sexe, comme nous en parlons et comme nous le pratiquons, avec quels mots, quelle brutalité, quels silences, et dans quelles positions, et avant, et après, et dans quel état d’esprit, et dans quelle intention, et avec quelle part de nous-mêmes, et jusqu’où, et pourquoi... et si toutes ces questions amenaient une réponse, si l’on consentait à les considérer objectivement une seule minute, ne se trouverait-on pas en présence du plus magistral instantané que l’on puisse espérer, de la plus sensible esquisse de la réalité ?

Ceci dit, vous faites comme vous voulez."

– Billet de Jean-Louis MILLET