mercredi 21 novembre 2007

L’hiver québécois

Les premières neiges soulevées par le vent tourbillonnent pour se mêler aux cavales folles des nuées venues du Nord. Les ruisseaux épanchent toujours le même cristal frais, mais les premières gelées qui ont suivi les pluies abondantes de septembre, ont comme endeuillé la forêt. Il s’est accumulé, sur cette dernière, un lourd sentiment de solitude et de mélancolie. Puis, à mesure que diminue la lumière du jour et que plane le mystère de la nuit, les rumeurs se ponctuent de légers bruissements. Dans la forêt dénudée de ses feuilles, les bêtes se déplacent furtivement et cherchent à se confondre avec le paysage.

Le vent venu du Nord pénètre, âpre et glacial, sous les arbres. Il vient parfois flageller les cimes qui ploient sous quelques rafales. De grandes ombres mystérieuses s’allongent sur les plateaux, tandis que l’horizon incertain recule sans cesse, à peine discernable, sous la ligne sombre des terres gelées. C’est l’heure du grand repos pour les bêtes qui regagnent leur refuge pour leur sommeil hivernal. Les cervidés partagent la torpeur générale, jouissant de la quiétude qui les endort avec tout ce qui vit et qui les lie au reste de la création, dans la confiance aveugle que nul danger n’est à craindre.

Le long hiver québécois est en marche. Il vient de loin : des vastes espaces blancs. Il se répand partout et enveloppe toutes choses et toutes vies. Il plonge ses griffes sous l’écorce des arbres et cherche à atteindre le cœur où se trouve un restant de sève. Il fouille le pays du Nord et pousse sa colère vers le Sud où le soleil l’arrête dans sa course. Puis il se multiplie et revient sans cesse pour aller droit vers des contrées sauvages. Chaque vague de ce fleuve de froid est habitée d’une force nouvelle. Parfois la forêt se hérisse pour freiner son élan. Lorsque la colère du vent se calme ; lorsque tout n’est plus que blancheur et froidure, il arrive que l’hiver s’accorde un moment de répit pour contempler son œuvre.

D’un long soupir, le vent du Nord nettoie le ciel et le polit pour laisser percer la lumière sur un écran tout neuf. Glacial, autant que peut l’être le vent, le soleil se pointe timidement. D’un large mouvement, il se hausse en silence, appuyé de ses bras de feu sur ce vide étrange. Et c’est alors l’émerveillement d’un monde, que tant de hurlements ont saoulé et qui s’étonne d’un calme aussi limpide. La forêt passe alors de la grande folie meurtrière à cette paix, où la mort transparente continue de veiller. Le long hiver québécois vient confiner les humains dans leurs demeures tandis que dans les bois, les bêtes se serrent les unes contre les autres pour se réchauffer.

– Conte de Jean-Claude St-Louis